jeudi 29 mai 2008

JOHNNY DUPOND

Johnny Dupond s’était réveillé de mauvaise humeur. Il n’aimait pas du tout du tout quand il ouvrait les yeux une dizaine de minutes avant la sonnerie du réveil.
Il ne pouvait pas se rendormir, mais il ne pouvait pas non plus profiter véritablement du gain de temps obtenu.
Par Dépit, en ce matin gris de Septembre, il se leva, enfila ses pantoufles à carreaux bordeaux pour ne pas attraper de rhume, posa ses verres à double foyers sur son nez et pris la direction des waters.
Une fois sa vessie vidée et ses mains lavées, il noua une robe de chambre verte sur son pyjama deux pièces bleu ciel. Il se prépara deux biscottes beurrées et un bol de café. Il avala le tout sans entrain en regardant Télé matin.

Il faut dire que la vie de Johnny Dupond, petit quarantenaire dégarni, était réglée comme du papier à musique. Chaque geste qu’il effectuait sans fantaisie était le fruit d’années de pratique, que ce soit la manière de relever la lunette des toilettes, de nouer ses lacets ou même de rabattre sa longue mèche sur le dessus de son crane pour tenter de masquer une calvitie pourtant évidente.
Ce jour ne varia pas d’un chouilla des autres quand il s’habilla avec les mêmes couleurs ternes habituels : chaussures usées, pantalon en velours élimé aux chevilles, chemise caca d’oie à rayures brunâtres, et vieux gilet rouge sans formes. Sa garde robe ne variait jamais beaucoup.

Son imperméable sur le dos, il sortit de chez lui à la même heure que les autres jours. Sur le chemin du métropolitain il salua d’un signe de tête le Barman du café du coin ou il prenait son petit crème sans rien dire le dimanche. Il passa devant la boulangerie où la grosse pâtissière blonde lui fit un sourire qu’il ne lui rendit pas comme chaque matin, et s’arrêta au kiosk à journaux pour acheter le parisien. Il ne faisait pas vraiment grand cas des nouvelles du monde qui l’entourait mais il faisait tous les jours les mots croisés en mangeant son jambon beure à sa pause déjeuner. Il avait vue le quartier évoluer depuis 20 ans qu’il vivait là. Certains disaient en bien, d’autres disaient en mal. Lui s’en contrefichait.
Le journal replié sous le bras, il s’engouffra dans la bouche de la station Belleville.
Les lumières artificielles soulignaient sont teint cireux, l’odeur mélangée d’urine, de relent d’égout, et de transpiration ne lui portait pas au cœur au contraire : il aimait bien le métropolitain. C’était l’un des rares endroits au monde où il ne se sentait pas étranger à l’univers qui l’entourait. Les gens avaient la mine aussi fermé que la sienne, personne ne parlaient à personne. Personne ne voulait parler à personne et d’un autre côté la promiscuité forcée dans les rames lui donnait durant un fugace instant la sensation de pouvoir être proche de ces semblables.
Il fit son changement comme tous les matins et tous les soirs à la station république pour rejoindre le métro de la ligne huit qui l’amènerait invariablement à la station Madeleine, d’où il rejoindrait la rue d’Anjou dans le huitième pour aller s’assoir derrière son guichet du bureau de poste…

Ce matin pourtant, quelque chose se produisit… A la station Strasbourg Saint-Denis.
Alors qu’il était debout, serré contre les portes arrière du train, une jeune fille sans autres choix vint se presser contre lui… Cascade de cheveux blonds sentant le jasmin dans le visage, effluve de bergamote subtile dans les narines, friction de la jupe en acrylique contre le velours usé de son pantalon, Johnny Dupont sentit poindre en lui le début d’une érection.
Le petit homme rougit, lui pour qui la rigidité n’était la plupart du temps que mécanique. Il aurait voulut disparaître, ou tout du moins changer de wagon, mais complètement bloqué par la foule d’usagé de la RATP, il n’eut d’autre choix que de faire comme si de rien n’était.
Seulement voilà, au fur et à mesure du défilement des stations, loin de diminuer sa turgescence amplifia… A tel point que la femme devant lui s’aperçut qu’il ne s’agissait pas là d’un téléphone mobile. Elle se retourna d’un mouvement vif, Johnny croisa son regard pour la première fois. Il eut à peine le temps de voir ses deux yeux en amande d’un vert profond emplie d’une fureur contenue, qu’une gifle magistral vint lui mordre la joue. Elle lâcha un « espèce de porc » sous le regard amusé des voyageurs, avant de bousculer les autres passagers pour se frayer un chemin vers la sortie.

Johnny Dupont resta silencieux, rouge comme son gilet, des larmes au coin des yeux, ne sentant qu’une douleur cuisante sur son visage, et dans son pantalon ou son sexe semblait ne plus jamais vouloir fléchir.
Il descendit à la station d’après, rabattant son imper du mieux qu’il put afin de dissimuler tant bien que mal la bosse perfide et disgracieuse…
Alors qu’il marchait pour rejoindre le lieu ou il effectuait ses 35 heures quotidiennes, il se sentait pour la première fois étranger même à lui-même.
Une angoisse profonde lui saisit les entrailles, et sembla faire tourner tout son petit déjeuner. C’est d’un pas pressé et décidé comme personne ne lui en avait jamais vu (Il faut dire que personne ne faisait attention à lui), qu’il franchit les murs de la poste… Pour se précipité sur le trône.
Il commença son service avec un peu de retard, et accomplit ses mornes taches du matin.
« A la poste se disait-il, on est plus vivant, mais on est pas complètement mort. »
Les autres guichetiers tamponnaient les paquets avec ennuis, les murs ternes pleins de publicités affichant des gens aux dents blanches et au sourire faux ne rendaient pas l’atmosphère plus chaleureuse… Au contraire, la mollesse et la froideur ambiante rendait les gens qui patientaient encore plus austères, pressés voir agressifs. Pas une seule journée sans qu’un « client » ne jette à l’assemblé de personnes piégés entre les quatre murs : « Y’a pas écrit la poste, mon cul ! »
C’étaient même devenu un sujet de jeu entre ses collègues… Parier sur le nombre de fois que les usagers mécontents de la qualité des services postaux feraient références au slogan débonnaire vu, lu et entendu un peu partout.
Le temps s’écoulait comme tous les jours, semblant faire exprès de ralentir pendant les heures de bureaux, pour reprendre un rythme effréné sitôt la fin de la journée arrivée.
Johnny leva un œil las et fatigué, entre deux recommandés et un contre remboursement.
Son sexe dont la dureté n’avait point diminué se mit à battre frénétiquement et douloureusement contre le tissu blanc de son slip bon marché en coton. Elle était là ! La chienne de se matin… Celle qui l’avait battu, humilié… La cause de cette douleur, de l’accélération de sa respiration, de ses palpitations…
Il fallait que cela cesse… Par tous les moyens.
Il se leva et quitta son guichet, au grand dam de la cliente qui attendait toujours la facture pour ses envois. La jeune fille blonde du wagon ne leva même pas les yeux sur lui tant elle était absorbé par sa lecture… Elle se tenait debout dans la file d’attente, trois grosses enveloppes sous le bras et un livre de poche dans les mains. Il prit cette fois le temps de la détaillé un peu plus longuement. Sa première constatation fut qu’elle était vulgaire. Les racines brunes de 3cm de long attestaient que la blondeur qui lui avait explosé au visage un peu plus tôt, n’était en fait qu’artificielle. Ses traits étaient grossiers et l’épais maquillage, superpositions évidentes de couches successives, ne cachait pas une peau grasse à tendance acnéique… Elle mastiquait frénétiquement un chewing gum, donnant à l’ensemble de son faciès un air bovin, appuyé par l’anneau doré qu’elle avait dans le nez.
Ses vêtement lovaient son corps aux rondeurs toutefois fortes généreuses, et il attarda même quelques instants son regard sur les petits doigts boudinés, qui tapaient compulsivement ce que les jeunes devaient appeler un « sms ». Il se demanda comment elle faisait pour presser les touches avec ses faux ongles fuchsias quasiment aussi longs que ses propres petits doigts.
La seule constante avec sa vision de ce matin, c’étaient ses yeux. Il revoyait sans cesse au ralentit la tête se tourner dans le métro, et les deux grands yeux… En se concentrant un peu, il revoyait la rétine noire, entouré d’un iris vers, tirant ensuite vert un bleu délicat aux extrémités, un peu comme une ile verdoyante perdue dans un océan. Il n’aurait su comment le dire, comment le décrire, mais les yeux de la bougresse le troublaient, l’hypnotisaient, le paralysaient, le stimulaient.
En revanche, se rendre compte de l’apparence abjecte de la cause de ses ennuis déclencha des bouffées de haine, comme un poison qu’on aurait distillé par vague dans tout son corps, au rythme des battements de son cœur et de son sexe.

Sans un mot il se rua dans la pièce du fond afin de récupérer son imper et son journal. Le responsable Monsieur Palard qui passait par là lui fit constater d’un ton sec que ce n’était pas encore l’heure de la sortie. Il ne regarda même pas le petit chef teigneux et névrosé à l’haleine chargée. Il pourrait toujours prétexter un rhume de cerveau demain ou après demain. Que les clients attendent un peu plus ou un peu moins à la poste ne changerait rien. Si ce n’était pas lui, ce serait un arrêt maladie, une grossesse, des RTT, une pose déjeuné, une pose café, une pose cigarette…
Le jour se lèverait demain encore, gris comme aujourd’hui.

En franchissant le pas de la porte, il fut saisi par l’air frais de ce mois de Mars. Il fit quelques pas afin de s’éloigner de la porte d’entrée.
L’air frais calmait son érection, posté comme il était, feignant de lire son journal, il pouvait observer à loisir les allers et venus des gens. Quand la truie sortirait, il la suivrait. Il ne savait pas encore où, et comment, mais un vague souvenir d’une situation semblable lui dicterait la marche à suivre.
La jeune femme qui ne devait probablement pas dépassé la trentaine sortit au bout d’une vingtaine de minutes l’air excédé. Ben quoi, y’a pas écrit la poste. Elle sortit son téléphone, composa un numéro, et se dirigea vers lui tout en parlant d’une voix forte. Elle le doubla sans même le regarder, il put entendre les échos d’une conversation : « et là, ben l’autre j’te jure, il à cru que j’allais payer ce prix là pour me faire… » . Elle allait de toute évidence vers le métro, heureusement pour lui à cette heure ci, il y avait beaucoup moins de monde. Il monta dans le wagon contigu au sien, et l’observa alors que les stations défilaient ponctuées par les bulles de chewing gum que la jeune fille faisait claquer bruyamment...
Elle descendit à Strasbourg Saint Denis, et Johnny Dupond en fit de même. Il était à une dizaine de mètres derrière elle, et avançait d’un pas égal, les sourcils froncés en observant sa démarche suggestive et chaloupée. « Une trainée se disait-il. J’ai été humilié par une trainée. »

Une veine était apparue, palpitante sur sa tempe alors qu’il crispait ses poings et sa mâchoire à en avoir mal. Attendre le bon moment, et faire ce qu’il devait. En sortant du métro, La fille cracha son bubble gum et s’alluma une cigarette ultra light menthol dont la fumée ne tarda pas à s’élever vers le ciel. Il la suivit encore un petit moment quand cette dernière s’arrêta rue Saint Denis. Elle sortit un trousseau de clés de son mini sac à main argenté et entra dans un immeuble gris et délabré après avoir composé le digicode. Très bien se dit-il en se frottant les mains autant par satisfaction que pour se les réchauffer. Il alla se poser sur un banc lui permettant de voir la vieille porte salie et maculée de taches de peintures et de divers graffitis, par laquelle la petite pute avait pénétré. Quelque soit le temps qu’elle mettrait à redescendre, il attendrait.

N’ayant aucunes attaches, aucuns plaisirs, étant d’une psychorigidité totale, Johnny Dupont avait développé la capacité de traversé la morosité de sa vie, sans rien en attendre et sans en être affecté. Cela lui conférait une patience emprunte de résignation qui dans ce cas précis lui permettrait de tenir.

L’attente ne fut pas de longue durée, la jeune fille réapparut moins d’une demi heure plus tard quasiment méconnaissable, elle portait à présent des collants à grosse maille, de longues bottes en similicuir, un short ultra court rouge vif, et un petit haut gris et or du plus mauvais gout laissant apparaître une poitrine décidément très opulente. Elle avait attaché ces cheveux en une queue de cheval laissant apparaître deux créoles, et mastiquait à nouveau un chewing gum. Un homme se leva de la terrasse du café d’en face et s’approcha d’elle. Elle l’embrassa sur la joue puis essuya la trace de rouge à lèvres qu’elle venait de lui laisser. Il était grand, complètement chauve, entre deux âges et portait un costume complètement rapiécé aux extrémités. Elle composa à nouveau le code et entra, suivi de près par l’inconnu qui lui claqua une petite tape sur les fesses, ce qui sembla la faire glousser.
« Une pute, j’en étais sure ! Une pute ! Et voila comment elle ose me traiter… Elle va voir… »
Il resta sans bouger pendant une heure. Il ne sourcilla pas quand la porte se rouvrit à nouveau laissant apparaître une jeune couple. Elle, plus grande que lui, à peine quarante ans à eux deux. Les amoureux étaient totalement assortis… Pantalons amples, cheveux en batailles tombant dans les yeux pour lui, cheveux longs et mal coiffés attaché négligemment en une natte souple pour elle.
Ils portaient tous deux la même écharpe rouge, et ne cessaient d’afficher un sourire niais aux lèvres sans raisons… L’espace d’un instant fugace, Dupond les envia. Mais il savait que ce genre de relation lui était interdit. Son père le lui avait bien fait comprendre. Pour vivre ce genre d’histoire, il aurait fallut qu’il soit différent, dans son cœur et dans sa tête… Le jeune couple partit vers la gauche, et Johnny pu constater que la porte mettait une dizaine de secondes à claquer. Un vieil homme aux cheveux gris et sales coupés courts et à piètre allure pénétra dans l’immeuble peu de temps après. Une demi-heure passa encore quand la porte se rouvrit : C’est le colosse chauve qui en sortit l’air satisfait, suivi de près par la jeune effrontée. Elle avait à présent les cheveux détachés, et une bouffée de mépris traversa Johnny toujours assis sur son banc.
La fille embrassa à nouveau l’homme à la calvitie totale en lui murmurant des mots que Johnny ne parvint pas à saisir. Alors qu’il s’en allait, la fille aux yeux verts vérifia l’heure sur une grosse montre au bracelet rose, puis s’alluma une autre menthol en s’adossant contre le mur.

Un petit homme à la peau noire arriva alors qu’elle éteignait sa cigarette du talon de sa botte. Elle lui sourit, composa le code et fit signe au mulâtre d’avancer. Ce dernier dont le sourire laissait percevoir une dentition blanche bien qu’approximative ne se fit pas prier. Cette fois c’est elle qui lui mit une petite tape sur les fesses, et Johnny ne put dire avec exactitude, si le gloussement qui se fit entendre alors que la porte se refermait provenait de la gorge du nègre ou de la stupide femelle.
Sa détermination ne faisait qu’augmenter, un peu à la manière d’un feu d’artifice, qui gonfle, qui éclate de plus en plus haut, de plus en plus fort, pour laisser la place au bouquet final, qui emplira le ciel obscur de couleurs, d’étincelles, de bruit, et de fumée…
Quand la porte se rouvrit une nouvelle fois et qu’une petite femme, parfaite ménagère basse classe de moins de 50 ans s’échappa un caddie à la main, les muscles de Johnny Dupond se contractèrent et il avança comme si de rien était bloquant la porte de manière naturelle juste avant que celle-ci ne se referme.

Il avait pénétré dans le hall d’escalier sordide avec la rapidité et la précision d’un chirurgien, et c’était rué dans le local à poubelle sous l’escalier. Eclairé par une faible lueur jaunâtre, il se dégageait du petit cagibi une odeur nauséabonde, qui s’insinuait dans ses narines. Le mur sale était couvert de lézardes suintantes, tel de longues plaies mal recousues, et juste avant que la lumière automatique ne se coupe il cru voir une blatte courir le long du mur et disparaître dans un interstice sombres. Un frisson le parcouru. Pourtant cette réaction n’était pas dû au dégout, mais bel et bien à de l’excitation. Son érection ne le torturait plus depuis un petit moment, il s’était habitué à cette rigidité forcée, et il savait qu’avant la fin de la journée il se sentirait soulagé.
L’obscurité le berçait et semblait faire écho en lui. Un peu comme si cette puanteur et cette obscurité dans ce lieu clos (qui aurait rendu n’importe qui claustrophobe et nauséeux) le renvoyait à une souvenir lointain et familier. Il ne se souvenait pas, et ne voulait pas y prêter attention.
Le passé n’avait pas d’intérêt, le futur encore moins.

Il ferma les yeux et écouta les bruits de l’immeuble, cacophonie étouffée mais omniprésente. Une chasse d’eau qu’on tire, des voix éteintes, un aspirateur, une télévision diffusant probablement un téléfilm navrant, il fit le tri dans son esprit pour chasser les parasites, afin de capter le son qu’il recherchait… Soudain, le même gloussement se fit entendre juste après un claquement de porte. La lumière automatique se ralluma projetant des ombres fantomatiques dans le petit lieu clos mais il ne le remarqua pas, trop concentré sur les bruits de pas. Il compta le nombre de marches qui grincèrent une par une. Quand le bruit raisonna au dessus de sa tête, sa respiration était calme, le sang dans ses tempes ne palpitait plus aussi vigoureusement : il avait analysé la situation et déduit qu’il devrait franchir trois étages. Au son de la démarche lourde, il sut que c’était le petit africain édenté qui sortait de l’immeuble. Sans esquisser un sourire, et satisfait de voir que le petit homme était ressorti seul, il sorti du local à poubelle et ferma lentement la porte dans un grincement lugubre. D’un pas feutré il monta l’escalier sans empressement. Le premier étage aux murs humides et aux cloques de peinture boursouflées. Cinq pas sur le palier puis de nouveau les marches en vieux bois.
Deuxième palier, un courant d’air vint balayer les lieux. Il n’aurait su dire d’où provenait ce mince filet d’air qui lui glaça le front preuve qu’il transpirait à grosses gouttes. Il continua son ascension, sachant que chaque pas le rapprocherait irrémédiablement de son destin aussi surement qu’un papillon de nuit attiré vers la flamme d’une bougie. Mais Johnny Dupond ne se brulerait pas, il ne pouvait en être autrement.
Dernier palier, deux portes. Il se pencha et plaqua son oreille contre la lourde porte. Pas un son ne s’échappait. Il s’approcha de la seconde porte. Il n’eut pas besoin d’avancer plus près pour entendre la même voix que précédemment dans la rue devant le bureau de poste.
Il attendit encore une fois que la conversation cesse, visualisant la scène sur le point de se jouer.
La voix se tut, il frappa deux coups secs contre le dernier obstacle qui le séparait de la fille.
«Encore toi, Soumaré ? Tu n’as rien oublié pourtant ! »
Le bruit du verrou résonna éclipsant par la même tous les sons de l’immeuble que Johnny n’avait cessé d’entendre jusque là.

La porte s’ouvrit sur les deux grands yeux verts surpris. La jeune femme qui était à présent juste en soutien gorge noir lâcha un petit cri de surprise.
-Vous ?
Johnny Dupond se redressa afin de prendre de la constance, puis il balbutia un petit, un pathétique :
-Je t’aime.
Il aurait voulu que tout se passe comme dans un film, il aurait rêvé que la jeune femme au regard hypnotique le prenne dans ses bras, le fasse entrer, soulage son membre battant aussi vite que son cœur.
Au lieu de ça, la garce à qui il venait d’ouvrir son cœur, chose dont il n’était pas coutumier se mit à rire. Un rire sonore et vulgaire. Elle rit comme possédée, prise de convulsion face à ce petit inconnu pervers et laid, transpirant qui osait frapper à sa porte. Coucher avec lui contre rémunération ne lui aurait pas posé de problèmes, c’était son métier après tout, mais là ! Parler d’amour dans ces conditions, dans ce lieu, juste après toutes les saloperies qu’elle venait de faire avec Soumaré, son petit monsieur d’ébène comme elle aimait à l’appeler, c’était vraiment trop pour ses nerfs.

Ce fut comme un coup de canon ! Une décharge d’adrénaline embrasa le système nerveux entier de Johnny qui dans un mouvement brusque rapide et précis, fracassa la tête de la jeune femme contre le chambranle de la porte. Elle s’étala par terre sans connaissance et avec la froideur d’un démon, il enjamba le corps de la pauvresse, pénétra dans l’appartement au relent de sueur et de foutre, puis tira la masse inerte gisant à ses pieds à l’intérieur avant de fermer doucement la porte.


Epilogue :

La nuit avait recouvert les toits de la capitale depuis quelques heures déjà quand le petit homme sans allures sortit de l’immeuble. Son imperméable entièrement boutonné, Il marcha d’un pas léger, agréablement revigoré par la légère brise fraiche. L’air était pourtant saturé de senteurs de cuisines turques qui traversaient la rue de part en part. Les gros tas de viandes tournaient lentement, l’huile pour les frites crépitait dans tous les petits restaurants construits sur le même modèle, mais une fois encore il ne faisait déjà plus parti de ce paysage. Il était de nouveau étranger. Il prit le métro sans vraiment s’en rendre compte et arriva chez lui devant son petit immeuble de la rue de l’Atlas. D’une main distraite il composa le code, et s’avança dans le couloir sombre.
Madame Denis, la vieille voisine du quatrième lui retint la porte de l’ascenseur, et pour la première fois il la remercia en….souriant…
Il chercha ensuite la clé dans sa poche, enfonça le petit bout de métal dans la serrure qui céda sans effort. Il avait encore la vision de tout ce qui c’était passé dans l’après midi. L’odeur de la fille lui collait à la peau. En parcourant le petit couloir qui le menait jusqu’à sa chambre à coucher il se sentait heureux, même s’il savait que ce sentiment ne tarderait pas à s’évanouir comme le vague souvenir d’un rêve qu’on arrive pas vraiment à saisir le matin au réveil.
Heureusement le souvenir quant à lui serait éternel, comme pour toutes les autres.
Il ouvrit la porte du placard ou des tas de boites et pots en verres étaient méticuleusement alignés sur deux étagères. Il n’éprouva qu’un seul regret en rangeant le nouveau bocal parmi sa collection : les yeux verts avaient perdus de leur éclat à cause du formol.