lundi 20 avril 2009

Un Long (mais alors très long) Dimanche

Un Long (mais alors très long) Dimanche

Le Queen. Boite de nuit. 2h43.

Je viens de me prendre la fumée de ma cigarette en l’allumant et la douleur me fait un mal de chien… Pourtant je m’en tamponne comme de mon premier sachet d’images Panini.
Je pense que l’extasie et les trois Vodkas-pomme que j’ai ingurgités font effet. Même la musique techno que je ne supporte pas en temps normal bat à présent au doux rythme de mon cœur. Romantique.
Une heure plus tôt, les gens m’énervaient beaucoup tout plein, alors que là tout de suite maintenant, j’ai envie de prendre tout le monde dans mes bras, de les serrer très fort et de dire à quel point j’aime la terre entière !
Mon corps qui d’habitude se sent obliger de ne pas être en phase avec le tempo, se marie harmonieusement au « mélodique » DOUM ! DOUM électronique. Les basses pulsent, faisant presque trembler le sol, je ressens la grandeur de la musique, je vibre.
Mon ami Julien à eu raison de me forcer à venir. Il est 2h43, le Dimanche 26 Octobre je m’appelle Vincent et aujourd’hui j’ai trente ans.

J’ondule mon corps à travers la foule, les yeux mi-clos, le sourire aux lèvres. J’ai la douce sensation de faire parti d’un tout. L’état déplorable des toilettes (pissotière bouchées, sol maculé d’urine) ne parvient pas à me sortir de ma délicate torpeur. Je vis un rêve éveillé, tout le négatif, le moche, le vilain, le pas beau, le caca ont été rayés de mon plan astral ! Je touche du doigt un monde merveilleux, ma perception sensorielle est accrue. Une fois ma vessie vidée, enjambant une grosse flaque de vomit verdâtre, je m’apprête à rejoindre mes amis quand je la voie. Une apparition auréolée de lumière. Elle se tient devant moi : divine créature enchanteresse, moulée dans sa robe rouge sang. Une taille parfaite, des jambes parfaites, des seins parfaits. Parfait.
La scène se déroule comme au ralentit, la déesse se déhanche sur la musique, ses longs cheveux bruns et frisés flottent tout autour d’elle tel une aura protectrice, et je la fixe pendant de longues secondes… Ou de longues minutes…. Ou de longues heures…. En fait je n’en sais rien, je me sens tellement bien que je n’ai même pas envie d’y penser. Mon corps ne répond plus, il est comme télécommandé, tout ce qui doit arriver arrivera, un pour tous, et tous pour moi. Je m’approche d’elle, synchrone avec la musique, et je lui décoche mon arme fatalement ultime : mon plus joli sourire. Ca n’a jamais marché jusqu’à présent, mais là tout de suite, je ne sais pas, je sens qu’il va se produire un miracle. Elle me regarde, me rend mon sourire, et je suis comme hypnotisé, un cobra qui à trouvé son fakir, un lion fougueux et majestueux (oui c’est moi) qui à trouvé son dompteur au fouet efficace… La scène bascule du « ralentit » au « flashback » version vielles sitcoms américaines : l’image se fait moins net, tous les bords se floutent, et une nouvelle fois je perds la notion du temps, tout en me perdant dans son vertigineux décolleté. Je n’ai pourtant pas le vertige, au contraire, je plane à 10 000 pieds. Mes lèvres se rapprochent, le moment est parfait, je l’embrasse et constate qu’elle à un gout de fraise tagada.
Elle murmure à mon oreille : « Je m’appelle Manuela et j’ai envie de toi. »
En plus ça rime.
Tant pis pour Julien qui doit être en train de faire je ne sais quoi avec je ne sais qui, c’est mon anniversaire après tout, le ciel m’offre un de ses plus jolis fruits (j’en deviens croyant !), il comprendra…. Ou pas. Je m’en moque !

Dehors, l’air est frais et un peu moite. Une averse s’annonce. Les giboulées de Mars en Octobre. Ou simplement un automne lambda à Paname.
Elle me parle de sa voix un peu cassée et forcément sexy : « Allons chez moi, c’est pas loin tu verras » (encore une rime je songe en mon fort intérieur.)
Je la suis donc dans la grisaille parisienne qui cette nuit me semble pourtant particulièrement colorée. La beauté est partout, dans les poubelles renversées sur les trottoirs, sur les couvertures trouées des clochards dormant dans la rue, dans les cris des mecs saouls sortant de boites ou de bars, dans la condensation qui s’échappe du coin de sa bouche sublime alors qu’elle m’entraine par la main.
Je ne fais attention ni à sa rue, ni à son immeuble, ni à sa cage d’escalier, je flotte léger, presque omniscient. Je me sens comme investit d’un message à faire passer au monde… Mais je n’ai pas l’occasion de le verbaliser car arrivé dans son studio les choses s’accélèrent.
Elle m’embrasse fougueusement, sa langue semble se faire un devoir d’explorer chaque centimètre carré de mes gencives (je remercie ma mère de m’avoir forcé à me brosser les dents tous les soirs quand j’étais petiot). Mes mains caressent ses seins somptueux à travers le tissu de sa robe, alors qu’elle presse mon postérieur pour m’attirer encore plus contre elle. C’est du grand art ! Les films érotiques du câble font pales figures à côté de nous, ce qui laisse présagé le meilleur pour la suite. Peut être même une scène digne du premier samedi du mois dur canal. (C’est la semaine prochaine, faut pas que j’oublis !)
Nos bouches toujours liées, elle se met à déboutonné ma chemise avec peine, dans un élan de passion j’ouvre ma chemise avec élan, à la manière d’un Superman, sans muscles, sans pouvoirs, mais avec une Loïs Lane à faire pâlir de jalousie Terry Hatcher. Soudain, elle descend sans crier gare, couvrant mon torse de petits baisers. Le résultat est sans appel, de petites décharges m’électrisent le corps, je sens en moi un monstre ne demandant qu’à être libéré ! Elle exauce mon vœu en ouvrant doucement ma braguette, je ferme les yeux, et me retrouve au nirvana. (Le lieu, pas le groupe de Rock !) Je me laisse un peu faire constatant sa grande dextérité, puis au bout d’un moment, je la relève et fais délicatement glissé les pans de sa robe dévoilant les huitièmes et la neuvièmes merveilles du monde.
Je me souhaite un bon anniversaire mental et plonge la tête la première dans ces deux monts à la hauteur de mes fantasmes les plus salaces. Je passe délicatement ma langue sur ses alvéoles, je lui prends un téton entre mes dents, elle pousse un petit gémissement et renverse sa tête en arrière. Ma tête est légère, le sang bat dans mes tempes au rythme régulier d’une musique imaginaire. Je glisse un peu plus bas la robe sur un ventre plat, sur un joli petit nombril percé par un anneau doré. Et sur….. QUOI ?
Je bascule en arrière, et tombe sur le cul ! La nausée me vient en tâtant quelque chose de dur à l’endroit ou ma prof de biologie (la vieille bique !) m’a bien appris qu’il ne devait rien y avoir… Chez une fille. Je me relève en rougissant. Le silence flotte dans l’air pendant un dixième de seconde. Puis je me précipite en me rhabillant dehors ! Je descends les escaliers quatre à quatre et m’éclate par terre à mi palier. Je me relève, une douleur lancinante dans l’épaule, remonte mon pantalon qui était resté sur mes chevilles et me rue tout en bas pour quitter cette cage d’escalier, cet immeuble, cette rue, ce quartier.
La réalité à rattrapé le rêve, et je me la suis pris en pleine gueule comme un platane à 130 sur une nationale de campagne : Manuela doit s’appeler en réalité Manuel tout court. Enfin pas si court que ça. Je frissonne. Cassons nous.

L’air me fouette le visage, le froid me mord le torse que je ne peux plus couvrir convenablement pour cause de boutons arrachés. Super ! En plus d’un nouveau plan pourave, je vais me choper une pneumonie carabinée. Je suis perdu dans le fin fond du dix-huitième arrondissement, et comme tout bon Samedi soir (ou Dimanche matin très tôt !) qui se respecte dans la capital, je cherche en vain un taxi. Je déambule grelotant, au hasard des rues, croisant la population nocturne de prostituées, camés, jeune et moins jeune saoulards… Je compte les taxis occupés qui me passent à côtés comme pour me narguer. C’est bien entendu ce moment là que choisis le ciel pour me déverser des trombes d’eau glaciale sur la tête. J’accélère un peu le pas et constate que je suis arrivé en bas de Montmartre. Un bon point : je sais à présent comment rentrer chez moi à pieds… J’en ai juste pour deux heures. Fuck !
Résumons : je suis fatigué, encore un peu saoul (cause Vodka pomme), et j’amorce une violente « descente » à faire bad triper ma grand-mère de quatre vingt onze ans dans space mountain (cause extasie). Mon esprit qui me surprendra toujours fait un trip Lutz piqué pointe, et je me retrouve à me demander pourquoi je galère en pleine nuit sous la pluie, et sans voiture. Le flash de l’éclair qui déchire le ciel m’imprime un gros TILT en lettres rouges clignotantes qui s’impriment sur ma rétine. Le tonnerre qui gronde 6 secondes après me fait apparaître la réponse : ces gros cons d’examinateurs n’ont jamais voulu me donner le permis de conduire. Alors que je continue ma marche forcée, je revis sans aucune once de mélancolie les heures douloureuses de mon apprentissage de l’art chimérique de la conduite.
Je me revoie dans la petite salle du fond, confiné dans un coin, en train de m’appliquer à ne rien comprendre au code de la route. J’essaie de trouver une logique là ou il n’y en a vraisemblablement pas, ce qui est d’autant plus frustrant que la horde de racaïe analphabêêête (à manger du foin) s’en sort foutrement mieux que moi. Une fois mon code obtenu….Du second coup (et BLAM, repayé 100€) ; je repense aux joies de l’instruction au sein de la maudite 306 verte pomme, aux côtés d’un gros instructeur bedonnant à la « douce » odeur de poney. Pensant être prêt, je me remémore les dures leçons apprises à coup de larmes (je déconne) et à coup de chéquier (je déconne pas !). Le jour de l’examen, je sais fort de mon expérience que:
-On ne cale pas plus de six fois sur cinquante mètres. (J’étais nerveux ce jour là.)
-On ne prend de sens interdit sous aucun prétexte. (J’ai confondu ma gauche et ma droite.)
-On ne grille pas de feu rouge en doublant un bus. (J’y peux rien monsieur le juge si le bus sus mentionné bloquait ma visibilité, et que ce gros connard d’inspecteur m’avait dit de le doubler.)
-On ne rétrograde pas de cinquième en seconde sur une voie de décélération d’autoroute ( Que celui qui n’a jamais tremblé me jette la première pierre !)
-On n’accélère pas pied au plancher pour passer juste avant un piéton engagé (même si c’est une petite vieille à lunettes qui de toute façon n’en a plus pour très longtemps.)
Ce sont des fautes qui disqualifient directement. C’est après avoir appris que mon nombre de passages était arrivé à son terme et que je devais repasser le code que j’ai sagement décidé de laisser tomber tous ces trucs là.
Je retrouve la réalité humide et froide pour m’apercevoir que je suis devant chez moi rue des Boulets (Pas de commentaires !).
Epuisé de fatigue,( et de produits illicites), je m’effondre trempé sur mon canapé et mets tant bien que mal le réveil en frémissant à l’idée de me taper la banlieue demain pour fêter mon anniversaire en famille… Je me retourne, cherche une position confortable et….

Le réveil matin sonne (hurle !) dans mes oreilles ! Déjà ?!? J’ai eu l’impression de dormir cinq minutes.
Si j’étais Harry Potter, la douleur de ma cicatrice en forme d’éclair me vrillerait le cerveau. Dure réalité : pas de baguette, pas de lunettes, pas de magie, juste une grosse gueule de bois et des flashs me rappelant par intermittences les épisodes de la nuit.
Je me lève tant bien que mal, m’explose le pied sur la table basse, renverse le mug contenant du café vieux de trois jours, jure et me dirige dans la salle de bain. Il est 11h30.
Je me regarde dans la glace et constate qu’aujourd’hui j’ai trente ans…. Mais en parais quarante. Mon teint blafard semble vouloir s’unir aux murs blancs-gris. Les yeux injectés de sang passent encore, mais les grosses traces de rouge à lèvres carmin qui maculent mon visage me donnent le sentiment d’être en maternelle le jour de la kermesse, et d’avoir été maquillé en indien par un daltonien tétraplégique.
J’ouvre le robinet pour m’asperger le visage de flotte quand le téléphone me rappelle à l’ordre de sa sonnerie stridente. La voix d’Alexandre, mon petit frère, raisonne dans tous mes synapses provoquant des petits éclairs de douleurs :
-Ben alors, où es-tu ? Me dit-il de son air supérieur.
-Chez moi.
-Es-tu au courant que tes géniteurs et moi-même t’attendons à midi ?
-Quoi ?!? M’enfin, on avait dit treize heure trente, voir quatorze heure !
-Pas du tout. Ta mère va adorer.
-Wololo, bon je fais vite.
-J’espère ! Ca ne me plaît pas plus qu’à toi d’être coincé là.
-Ouais, ben désolé. J’ai pas choisis.
-Moi non plus.
Il soupire avant d’ajouter :
-Bon anniversaire au fait.
-Ouais, c’est ça merci.
Je raccroche et me jette littéralement sous la douche en espérant que cela atténuera les effluves d’alcool…

Une demie heure plus tard je rentre dans le RER.
J'aimerai lire ou écouter de la musique, mais je sens que la migraine n'est pas loin tel un monstre tapis dans l'ombre prêt à bondir. Je ferme les yeux quelques instants...Pour les rouvrir dix stations plus loin que ma destination initiale. Pas de problème. La journée continue dans sa lancée. Ca pourrait être pire. Positivons.
Je descends sur le quai désert, il fait froid, gris, la gare est austère. Je m'allume une clope en regardant le prochain passage du train sur le panneau électrique. Les joies de la banlieue le Dimanche: Je dois attendre 20 minutes.
Quand le "joli" train arrive enfin, je choisis une place isolée près de la fenêtre. A la station suivante, un jeune mec entre. Enfin je devrais dire un "Keum", vu qu'il porte un survêt jaune poussin Lacoste (couleur exquise), une casquette et qu'il beugle des trucs en verlan dans son téléphone. Je ferme les yeux, de tous les wagons vides, il a fallut qu'il choisisse le mien. Super.
Il raccroche le téléphone, et je me dis que j’aurais enfin un peu de calme. Mais il pousse le haut parleur de son mobile et commence à écouter son rap de merde.
Nous ne sommes que deux dans le wagon, sa « musique » me les brise menu menu. C’est un truc du genre : « Wesh, gros, moi ce que je kiff c’est fumé des splifs, c’est trop de la balle, sors ton gun et tire une balle ». La nausée et la migraine me revienne par vague à mesure que le paysage banlieusard défile derrière la vitre. Je préfèrerai encore me retrouver dans un salon de coiffure en province un jour de fête du village entouré de bonnes femmes jacassantes âgées de sept à soixante dix sept ans !
Dire que je pensais qu’ils écoutaient leurs téléphones pourris dans le métro dans le but de faire chier un maximum de monde... Soupir…
Je prends mon mal en patience, car au fond de moi je sais que le pire reste à venir : le repas en famille… Surtout qu’avec mes deux heures de retard, je ne vais pas être accueilli avec des colliers de fleurs.
Ca y’est, le train entre en gare. Je descends et m’engage dans la grande rue de cette belle commune qu’est Bagneux.
La banlieue le Dimanche, c’est un peu comme être plongé dans un film catastrophe où une arme bactériologique (ou autre) aurait éradiqué la population mondiale, laissant notre planète recouverte de villes fantômes.
La pluie commence à tomber, j’en reçois une goutte glacée dans le coup. Heureusement que pour une fois j’ai pris mon parapluie avec moi. Je me rends compte que je l’ai oublié dans le train. Merde.
Je hâte le pas à mesure que la pluie fine se mue en averse et j’arrive devant le petit pavillon familial érigé sous le ciel gris tel un château lugubre abritant le seigneur Dracula ainsi que tous ses comtes et comtesses prêt à se nourrir du premier manant venu.
Je suis trempée d’eau froide et de sueur, je souffle comme un bœuf, et suis rouge comme un irlandais en overdose de Guinness.
Je sonne à la porte déclenchant instantanément les aboiements aigus et désagréables de Zeus, le petit batard que ma mère à recueilli deux ans plus tôt à la SPA. Amusé, je me dis qu’il à tout pris de sa maîtresse en matière de communication.
Je traverse le petit jardin envahi de mauvaises herbes et de vieux meubles qui ne servent plus (mais qui pourrait resservir un jour, on ne sait jamais !) et pénètre non sans appréhensions dan la maison qui à tout du pavillon témoin « rêvé » d’une catégorie sociale à laquelle je n’appartiens pas… Encore.
Mon frère ouvre la porte, un peu trop BCBG pour l’occasion avec son pantalon sur mesure, sa raie sur le côté, ses lunettes Gucci et son pull col roulé noir qui à dû couter plus cher que l’ensemble de ma tenue.
« Le parfait petit premier de la classe » me lance en guise de bonjour : « Tu me paieras ça » et il me sert la main. Mon père est assis à table lisant l’équipe et je ne vois que le dessus de son crane (qui se dégarni d’année en année), dépasser des feuilles de papier froissées. Il baisse le journal et me regarde un peu surpris. Plus il avance en âge, plus il semble perdu dans un monde qu’il ne comprend pas et qui ne le comprend pas. Totalement à l’ouest, quoi. Je pense que par reflexe, il se coupe de la réalité pour se réfugier loin des monologues incessants de ma maman. Une réalité « merveilleuse » peuplée de maquettes de train, de timbres et de scores de match de foot.
Je pense même avoir hérité de son côté collectionneur, sauf que moi, j’ai décidé de me limiter aux plans galère et aux histoires d’amour bancales.
Je pénètre dans la cuisine, en ayant le sentiment d’être un lapin pris dans les phares d’une voiture, et ma mère commence instantanément à me parler sans me laisser le temps de placer autre choses que quelques sons monosyllabiques de ci de là :
« Ah, ben il était temps ! Non mais t’as vu l’heure ? Et moi qui me suis levée à sept heures du matin pour tout préparer. Si j’avais su ! En tout cas je suis allé au marché, et tu as intérêt à apprécier, car le prix du bio maintenant… Puis avec ce temps. Ah, je te le dis, même le chien n’à pas voulu sortir. Mais bon, maintenant c’est trop tard, mon gigot va être trop cuit. Je sens que ça va être raté. T’es pénible quand même. Puis tu as vu ta tête ? Tu as une mine affreuse. Tu sors, trop, puis tu dois mal manger. Et puis faut vraiment que tu arrêtes de fumer ! Tu pues la cigarette. Regarde ton frère, lui il à une santé de feu. Enfin lui il ne doit pas boire tous les soirs vu son métier. Il n’a pas une minute de libre. Faut dire que la crise économique ne facilite rien. Et pourtant lui, il m’appelle le soir des fois. Il ne fait pas joujou toute la journée sur son ordinateur. Oh, et puis… »
Je la coupe prétextant un besoin pressant. Je ne me sens même pas de lui dire que de toutes les viandes, l’agneau est celle que je déteste le plus (sauf dans les kebabs bien entendu) et que maquettiste, c'est-à-dire mettre en page des magasines, c’est un vrai métier. Pas intéressant certes, mais avec tout un lot de chartes graphiques à respecter, et que ce n’est pas précisément ce que je qualifierais de faire « joujou » sur un ordinateur.
La vie est bizarre, beaucoup de mes amis quand ils rentrent chez leurs parents ont la sensation de retourner chez eux dans un genre de bercail douillet où ils se font chouchouter… Moi ce serait l’inverse, à chaque fois que je reviens, je me sens un peu plus étranger à mes parents, et à leur mode de vie. Les babioles et autres bibelots sur les étagères me semblent être le summum du mauvais goût. Le papier peint ternes tout droit sorti d’un mauvais film des années soixante dix et toutes les lubies de ma mère sont pour moi la traduction d’un subconscient qui hurle son ennuie face à un mari qui à rendu les armes. Napperons, peinture sur soie, et autres dentelles me donnent l’impression de faire un saut sans parachute dans un univers à mi chemin entre une famille de « Deschiens » et de « Bidochons» un jour d’automne pluvieux. Ce qui (reconnaissons le) est dans notre beau pays un pléonasme. Cynisme quand tu nous tiens.
Réjouissons-nous, le plus tard je suis arrivé, le plus tôt je serai parti.
Je reviens à table où les trois membres de la famille m’attendent. On entame la salade « bio » sans gout car les légumes ne sont pas de saisons, on découpe le gigot que je me force à manger avec appétit, en cachant mes haut le cœur comme à chaque fois. Mon père cache son ennui avec difficulté, parlant du temps et de politique alors que son seul désir serait de récupérer les pages de son précieux journal dont le chien s’est fait un devoir de maculer de boue.
Mon regard s’arrête sur Alexandre, mon frère, ma Nemesis. J’ai redoublé ma terminal L, il à eu son bac S avec mention très bien. J’ai fait un fac de droit, il à fait une prépa au nom que je ne comprend pas : Math sup/Math spé prime étoile contrôle alt supp. Armé d’un DEUG j’ai fait le tour des boites enchainant les petits boulots de Barman ou serveur Mcdo, lui à intégré Centrale. J’ai enfin décroché un poste de maquettiste par miracle payé à peine plus que le SMIC, alors qui lui est passé commissaire aux comptes à peine son diplôme obtenue avec succès. Il gagne quatre ou cinq fois mon salaire, il présente bien et est toujours parfaitement coiffé. Le parfait petit gendre idéal pour belle mère embourgeoisée du seizième arrondissement de Paris. Bref il m’énerve. D’autant plus qu’il n’est même pas désagréable avec moi. Je redoute le jour où il annoncera ses fiançailles avec Kunégonde de « la machin chose », ou bien Marie-Chantal du « je ne sais pas quoi »… J’aurais aimé me sentir proche d’au moins un membre de ma famille. J’aurais adoré qu’il soit un peu moins dans la norme et un peu plus comme moi. Il n’est plus jeune que de trois ans, mais j’ai l’impression d’en avoir vingt et lui quarante.
Ma pensée s’égare entre le PIB de Nouvelle Guinée, et le CAC 40. Une émotion semble m’envahir : un sentiment étrange et différent. Je repense aux évènements de la veille, revois ma tête dans le miroir ce matin, et je suis pris dans un tourbillon d’images similaire, qui me donne le vertige. Suis-je heureux ?
Je regarde ma mère resservir mon père, celui-ci semble sourire et je crois même déceler un clin d’oeuil. Mon frère a l’air sérieux mais détendu. J’ai beau le fixer, je ne vois pas de supériorité dans ses manières. Il explique juste humblement pourquoi le pays va mal. Je réalise qu’il ne cherche pas à imposer son savoir, mais au contraire à le partager.
Et si j’étais devenu cynique, pas seulement aujourd’hui, jour de mon anniversaire, mais il y a bien longtemps ? Et si j’essayais de m’ouvrir et d’être plus gentil ? Et si j’étais tout simplement en descente à cause des extas gobés hier soir ? Beaucoup de « et si » se mettent à voler devant mes yeux, mais est ce que ça ne vaudrait pas la peine de tenter le coup ?
Je vais commencer tout de suite : les côtés de ma bouche se redressent au prix d’un effort surhumain, et je souffle les bougies du gâteau de bon cœur alors que mes parents et mon frère chantent. J’ouvre le paquet que ma mère me tend, et l’ouvre en feignant l’interrogation Cartesienne. Je sors du paquet un appareil photo numérique… Dont je n’aurais pas l’utilité puisque ma vie ne présente pas d’évènements qui vaillent la peine d’être immortalisé… Mince ! Le cynique refait surface ! Vite, embrassons les membres de ma famille en retrouvant le sourire, et mangeons un morceau de gâteau. Oh, c’est un fraisier, ma pâtisserie préférée. Papa et Maman ont du s’en souvenir. Allez mon Vinçou, tu continues sur ta lancée. Voilà que je me parle à moi-même… Ca ne va pas dans la cabeza… Stop! Focalisons sur autre chose. Le chien me gratte la jambe. Peut être qu’il ne veut qu’une caresse et pas juste ruiner le dernier jeans que j’ai encore d’à peu près propre.

Incroyable, il est déjà dix sept heures et je n’ai pas vu le temps passer. Alexandre se lève et dit qu’il a un rendez-vous. Mes parents se lèvent ne semblant pas surpris le moins du monde, l’embrassent et lui disent de faire attention. Une chose surprenante se produit : ma mère ne dit rien. Elle rougie, et tend quelque chose que je ne vois pas à mon frère. Ce dernier se tourne vers moi et me propose de me raccompagner dans sa smart coupé. Il me le propose à chaque fois, et je décline toujours par orgueil (et un peu par jalousie, soit !). Il semble estomaqué quand cette fois j’accepte avec plaisir.
Alors que nous nous engageons sur le périph, il brise le silence un peu gênant qui s’est installé en allumant l’autoradio. La voix de Jim Morrison s’échappe du haut-parleur: “ Well show me the way to the next Whisky bar, ooooooh, don’t ask why, oh, don’t ask why…” Arrêter dans les trafiques de la capital, mon frère se tourne vers moi:
-Que t’arrive-t-il ?
-Je ne sais pas trop.
-Tu as appris que tu étais condamné ou un truc du genre ?
-J’espère pas. Il y a juste des choses qui doivent changer.
Alors que nous approchons près de chez moi, je me lance et lui demande ce que ma mère a bien pu lui donner. Il me regarde, esquisse un sourire, et sors da sa poche des… Préservatifs.
Je souris et l’embrasse alors que nous arrivons en bas de mon immeuble.
Je le remercie, monte quatre à quatre les marches les six étages. Je me sens beaucoup plus léger que d’habitude, et e me dis que j’ai du prendre la bonne décision. J’ouvre la porte sur mon minuscule appartement dont le rangement plus qu’approximatif me donne à chaque fois l’impression d’avoir été cambrioler et que le voleur a tout laisser sans dessus dessous. J’ouvre la fenêtre, trouve une tasse correcte, et me prépare un café. Alors que je bois le liquide brulant en lisant la notice de l’appareil photo un doute surgit balayant mon calme. Et si le cynique se mettait tout d’un coup à reprendre le dessus ? J’ai très peur, car je commence à bien apprécier l’état dans lequel je me trouve. Je ne veux pas tomber dans le syndrome du « docteur cynique et Mister calme ». Je frissonne et vais pour fermer la fenêtre quand le téléphone sonne. C’est Lynette ma gouinette (comme j’aime à l’appeler affectueusement) qui me souhaite un joyeux anniversaire et me propose de la suivre à un « tea dance ». C’est une sorte de soirée en boite sauf que cela se déroule entre dix huit et vingt trois heures. Je ne suis pas franchement emballé vue mon expérience de la veille, mais je n’ai pas le courage de rester seul à me morfondre. J’accepte donc de la rejoindre une heure plus tard à la station de métro Arts et Métiers. Juste avant de raccrocher, elle me glisse que c’est une soirée Gay et Lesbienne mais que c’est tout de même super gay friendly, et que du coup les jeunes filles à PD ne se tiendront pas sur leurs gardes…
Je me change et enfile une chemise pas trop froissée, un coup de parfum, et je me rend sur le lieu de rendez-vous. Lynette est là, cheveux corbeau en pétard, veste en Jeans usée, piercing à la lèvre et au nez. Elle me sourit, m’embrasse du haut de ses un mètre soixante dix, puis nous nous dirigeons vers la boite. Devant les portes, j’observe quelques jeunes hommes, et je me demande s’ils se font un devoir de ressembler à tous les clichés d’hystéro véhiculés par les médias. Finalement, cette sortie sera un bon test à mon cynisme. Si j’arrive à ne pas être trop méchant ni moqueur, je pense que le reste se passera sans trop de problèmes. Nous fumons une cigarette en discutant mon amie et moi, et je remarque que je n’ai plus aucune trace de la grosse migraine de ce matin. Nous achetons nos places et pénétrons dans un lieu qui n’à rien à voir avec une boite de nuit. On y voit clair, il y’a beaucoup de lumières colorées, jaunes, vertes, roses, bleues. Le dernier « hit » (cynique ou pas j’insiste sur les guillemets) de Britney Spears passe, les filles et les garçons dansent et semblent s’amuser. Je dépose ma veste au vestiaire et accompagne Lynette directement au bar : emplacement stratégique de repérage pour rencontres éventuelles. Le club à une taille humaine, une vaste salle pouvant contenir deux cents personnes. Les gens se sourient, personne ne se regarde de haut, et plus surprenant encore, personne n’a l’air saoul ! Ils ont de la chance. Je vais faire un effort, essayer de me détendre et d’arrêter de broyer du noir. Ma copinette me donne un coup de coude et me glisse à l’oreille : « Y’a une grande Brune là bas près des toilettes qui n’arrête pas de te mater. » Je tourne la tête discrètement et aux aguets, car dans la manière qu’elle a de parler, le terme grande brune peut effectivement désigner une grande brune, mais aussi un garçon grand, brun et très efféminé. La scène se déroule au ralentit, mon regard balaye la salle et croise le regard de… Manuel…a. Oh mon dieu !
Elle (il ?) à du vachement mal prendre mon attitude d’hier. Que vais-je faire ? Je vais encore me trouver au beau milieu d’un scandale, et finir ridiculiser devant toute une assemblée. Au moment où j’avais décidé de changer mon karma. Je vais encore passer pour un méchant sans cœur. A moins que…
Ma décision est prise. Je bois mon verre d’une traite et traverse la piste et les danseurs qui se déhanchent à présent sur du Mylène Farmer, j’ai les yeux qui piquent à cause des bulles bues trop vite. Elle se trouve à dix mètres…. Sept… Quatre… Deux… Je me tiens devant elle l’air penaud.
-Je… Heu… Je
(Madonna se met à chanter)
-Je suis désolé. Dis-je, prononçant les mêmes mots en cœur que la madone.
A ma grande surprise, elle sourit comme amusée par la scène.
-C’est pas grave me répond-elle.
-Non, je m’excuse… Vraiment.
-Allons boire un verre.
-D’accord mais je t’invite.
Alors que nous traversons la piste en sens inverse, je me sens soulagé. Ce n’était pas si terrible.
Je reprends une bière, lui offre un kir, et nous bavardons, je lui parle de ma vie, elle me parle de la sienne, le dialogue est facile. A un moment je rougis, J’aurais du lui expliquer hier soir que je n’étais pas du tout homo au lieu de m’enfuir de la sorte. Elle a compris ma réaction mais me remercie de m’être excusée. Finalement on s’échange nos emails promettant de nous ajouter mutuellement en tant qu’amis sur facebook.
La journée ne se termine pas si mal que ça. Mieux qu’elle n’a commencé. Lynette nous rejoint, salue Manuela et me traine sur la piste de danse : c’est Luna Parker qui passe !
Alors qu’on se pogote en rigolant, je bouscule par inadvertance quelqu’un derrière moi.
Je me retourne tout sourire pour m’excuser et me retrouve le souffle coupé. Face à moi se trouve un garçon au visage familier si ce n’est qu’il à retirer ses lunettes, mis un tshirt, et décoiffé volontairement ses cheveux.
-Alexandre ?!?
-Vincent ?!? Mon frère me regarde totalement médusé.
Je me mets à rigoler, Lynette qui n’a rien perdu de la scène, me demande qui est le jeune homme devant moi. Je lui présente donc officiellement mon petit frère, elle lui saute au coup, et il se met à son tour à rire.
-C’est génial ! Je ne savais pas que tu avais un frère PD ! Tu me l’avais décrit comme le dernier des grattes papiers !!!
-Ben je ne le savais pas non plus !
-Bon, et bien maintenant tu sais. Oui, je suis gay, et très content !
-Tu as l’air, ça fait plaisir de te voir comme ça !
Et en lui disant cette dernière phrase, emporté dans mon élan, je le prends dans mes bras et l’embrasse sur le front en me remettant à danser !
On me tape sur l’épaule. Je suis prêt à tout à présent ! Même à voir mon banquier… Perdu !
Je me prend le contenu d’un verre en pleine face (au gout je dirais whisky coca). Alors que je ne comprends plus trop ce qui se passe, un grand maigrichon peroxydé m’insulte, tourne les talons, et décampe d’une démarche hystérique en poussant des cris. Mon frère me regarde incrédule, puis éclate de rire :
-Tu viens de rencontrer Joshua, un jeune homme qui vient de devenir mon ex par la même occasion. Je viens de me faire plaquer devant toi je crois.
-Heu… Je suis désolé.
-Pas moi ! Ce n’était que le second rencard.
J’éclate de rire à mon tour :
-Nous avons donc des points communs ! Tu assures niveau rencard…
-T’as pas idée !
-Tu ne veux pas aller en discuter ailleurs ?
-Si, je connais un café pas loin.
Nous prenons nos manteaux aux vestiaires, et alors que nous nous apprêtons à partir, Lynette me lance au passage :
-Et bien, t’es vachement trans/PD/gouine pour un hétéro bof et obtus !!!
Puis elle s’en retourne danser… Avec Manuela.

Il est 23h59. Nous sortons dans l’air frais du soir parisien. Le ciel est violet et dégagé. On aperçoit même une étoile au dessus des immeubles éclairés par la lumière orangée des réverbères. Mon frère marche à côté de moi en silence. Je m’allume une cigarette, et lui passe le bras autour des épaules. Le long dimanche s’achève. Tout va bien.